Récit de l'ascension de l'Aiguille Verte par le couloir Whymper (le 25 juin 2001) écrit par ma soeur Florence. Nous avons réalisé un certain nombre d'ascensions ensemble avant que je devienne professionnel et que chacun de nous fonde une famille. On retrouve comme dans d'autres de ses récits un mélange de tendresse fraternelle, de doute et d'énervement car je ne la ménageais pas !

"Quel contraste! Il y a à peine 2 heures, nous étions à côté des baigneurs en slip de bain, en train de patauger au bord du lac de Passy, et voilà que nous nous retrouvons, certes, à la « Mer de glace » !, mais les baigneurs se sont rhabillés quoique certains se promènent vêtus uniquement d'un short et d'une paire de baskets sur le glacier...Il faut s'adapter rapidement à cet autre univers. Presque personne à part nous dans le dernier train pour le Montenvers. Nous croisons les wagons qui redescendent, bondés de touristes: la montagne nous appartient !
Allez, place place, la cordée de choc est de retour !! En attendant, je me retrouve sur la glace à souffler derrière le Moy, qui lui parle tranquillement, pas affecté par le rythme qu'il nous impose. Tiens! C'est une sensation que j'avais oubliée, galoper derrière le Moy! Il devra se réfréner plus tard dans son métier, avec ses clients en bout de corde, sous peine de tirer un poids mort jusqu'au sommet. Enfin, moi je tiens pour l'instant, du glacier à la moraine, puis aux échelles (surtout ne pas lâcher!). Le coeur bat vite, malgré mes trois semaines de crapahutage et de montagne avec Gilles, l 'effort est brutal (c'est du step dit le Moy...). Après le passage des échelles, je le laisse me distancer. Au-dessus des échelles, mes muscles sont tétanisés: les cuisses sont molles, crispées, et je réclame une pause pour refroidir la machine. La montée n'est plus très longue, alors économisons nous !
Enfin, nous installons le bivouac sous le refuge, légèrement en pente certes, mais tellement plus sympathique qu'une nuit dans les dortoirs et les couvertures poussiéreuses que j'arbore. Pour moi, la course a déjà débuté, puisqu'il est 20h30 et que nous ne dormirons que 3 heures!
Olive a récupéré quelques lyophilisés périmés dont le goût est meilleur que les sempiternelles soupes et pâtes déshydratées. Je me prépare à m'allonger et contempler les étoiles en attendant l'heure du départ, habituée à mon insomnie d'avant toute course en montagne, légèrement excitée. Quelle heure peut-il être ?
Le refuge s'est éclairé, de petites lumières s'échappent enfin en direction des glaciers, je pensais qu'elles monteraient, mais non, elles s'éloignent en direction de la pointe Isabelle, d'autres encore passent non loin de nous...Quelle heure peut-il être ??

La tête du Moy émerge du duvet jumelé, un éclair de lumière: « Merde ! Il est 01 heure du mat ! ». Décidément, les éléments sont contre nous : un départ dans des circonstances un peu difficiles dimanche, et maintenant le réveil raté. Mais la motivation reste, tenace. Depuis le temps que cette aiguille me tend les bras. En juillet 1999, nous étions gaillardement montés au dessus de la rimaye, pour rebrousser chemin à ma demande, trop fatiguée pour persévérer...redescendus avant le lever du jour, déçus, mais conscients d'avoir choisi la solution la plus sage, douillettement nous avions regagné le duvet quitté quelques heures plus tôt à ce même bivouac et piqué un roupillon salvateur, et c'est avec la certitude de revenir que je me délectais du fabuleux spectacle des Jorasses rosissant au petit matin...
Cette fois-ci, pas question de perdre du temps: en ½ heure nous engouffrons quelques lyophilisés sucrés préparés à la chaîne par le Moy, et à 01h30 quittons une nouvelle fois ce bivouac...Aïe, le regel n'est pas très efficace : à peine s'éloigne-t-on un peu des traces que le pied s'enfonce mollement dans une neige épaisse, réclamant un surcroît d'énergie pour s'en échapper.

Le couloir Whymper à l'aiguille Verte en juin 2008


La raide montée au dessus du Couvercle est décisive pour moi. Pour l'instant, pas encordés, j'essaye de suivre la flèche des cimes qui gambade devant, gérant au mieux mon souffle et mon côté diesel ! Pas trop vite hein le Moy !! Douuuucement la bête !
Encordement minutieux un peu plus haut. Mes craintes s'estompent quand, arrivés à la rimaye, je demande l'heure: « 03h30 ». 2 heures de montée jusqu'à la rimaye, c'est honorable. Bien sûr je n'ai pas de sac à dos, légers légers nous sommes, un piolet pour le Moy, deux pour moi, très peu d'eau, deux barres, le top !
Après la rimaye, le doute m'assaille à nouveau. Les rigoles et l'absence de régularité de la pente de neige obligent à des changements de rythme difficiles à négocier. Souvent la corde se tend, et oblige mon premier de cordée à s'arrêter.
Alors les poumons! Du nerf que diable! Le cœur cogne désespérément, contrecarrant le manque de globules. Traversée à gauche, dans les rochers : c'est le couloir du crabe, jamais rectiligne, toujours de biais. Puis petit à petit nous progressons, le Moy a compris qu'il devait ralentir l'allure (difficile avec ses fibres rapides!) pour assurer une continuité dans l'effort. De mieux en mieux. Je questionne: « Que reste-t-il, quelle heure est-il ? ». Enfin j'aperçois le col plus haut, à une centaine de mètres. L'euphorie me gagne, même si la fatigue se fait sentir. Plus lisse, plus régulier...Tac tac tac. On monte plutôt bien. L'importance de connaître son compagnon, ses capacités physiques et mentales, de pratiquer ensemble.
Le col de la Grande Rocheuse : 05h30. De l'autre côté le lever du soleil, et les raides pentes qui plongent sur le glacier d'Argentières. Impressionnée. Heureuse et anxieuse. Un coup d'œil à gauche pour évaluer la fin de la montée, cette arête effilée et cornichée qui nous emmènera au sommet mythique... Aucun repos pour l'instant, juste une petite barre pour pallier à l'hypoglycémie naissante. De bonnes traces jusqu'en haut, mais toutes du même côté, celui où c'est raide et fuyant !
Vigilance, lenteur. Pas le moment de s'emmêler les crampons !

Tout à coup, c'est fini. Une plate forme, plus rien en haut. Emotion forte, larmichettes. Bonheur. Embrassades. Merci Moy ! Deux photos rapides, quoique... 06h. Tout va bien. Fatigue et tension nerveuse. Redescente.
Olivier très vigilant plante son immense piolet jusqu'à la garde. Je regarde entre mes jambes, çà n'en finit pas de descendre, de grosses crampes tiraillent le haut du dos. Retraversé, à droite cette fois !
Le dernier couloir, où Olive m'assure avec des sangles sur le rocher, en moulinette. Il descend ensuite, précautionneusement. La pente s'adoucit. Nous finissons de face. Le bas est au soleil. 09h, tout  va bien. C'est fini. Nous récupérons même le mousqueton tombé à la montée, quand il faisait nuit. La tension s'évanouit d'un seul coup...."

Départ Montenvers 17h30, refuge 20h30, réveil 01h00, retour Montenvers 16h30...