Récit bien imagé de ma soeur Florence, à chaud après une ascension mouvementée des Grands Charmoz (15-16 août 1997). Ascension qui a presque mal tourné avec une soeurette en petite forme et un temps relativement incertain. Je ne parle pas du matériel qui - faites moi confiance - sera optimisé pour les années suivantes ! Pour l'heure c'était gros sacs et coques plastiques.. Récit qui résume bien l'ambiance entre Florence et moi-même en montagne : parfois brute de pomme, mais pleine de tendresse !

Au départ, il faut dire que l'objectif un peu ambitieux était la traversée intégrale des aiguilles de Chamonix dans le sens Grépon-Aiguille du midi, mais reconnaissons-le, cet objectif était dur à réaliser pour plusieurs raisons: une Flo pas au mieux de sa forme niveau acclimatation, et surtout un temps très instable avec de gros risques d'orages en fin de journée. Enfin, nous partions tout de même pour la grande traversée, avec des sacs conséquents (duvets, vivres pour trois jours, et tutti quanti...).

Le parking des Planards est encore bondé de chamoniards estivaux et nous nous garons pratiquement au pied du chemin qui mène au plan de l'aiguille, après un passage éclair au Continent de Sallanches pour les approvisionnements de dernière minute. C'est toujours après cette halte que nos envies de nature et d'air sain prennent un tout autre virage : monter, vite monter ! Rude épreuve que la foule d'un 15 août dans une grande surface ! Il est 13 heures et l'estomac du Moy est content après avoir ingurgité quelques sandwichs et yaourts frais réparateurs... Il est temps de charger nos sacs: OUCH! J'essaye de m'imaginer avec ce gros sac sur le dos dans les nombreux et futurs passages d'escalade, et mon moral en prend un coup.

- Mais si j'enlève les 100 gr de nouilles et les 50 gr de soupe du premier bivouac si si, ça va le faire...hum hum !

Pas un chat sur ce chemin. Blaitière dessous, Blaitière dessus entre autres bergeries, le Moy commence à me distancer. Tiens, son sac à dos, tout seul, là, sur le bord du chemin. Et la tête du Moy qui émerge 50 mètres plus loin. Ca va, j'ai compris. C'est là une des rares occasions de s'arrêter quand on accompagne le Moy dans ses pérégrinations alpinistiques et j'en profite pour poser mon sac. Peu après, nous retrouvons le monde du Balcon Sud, avec des queues leu leu de dizaines de randonneurs ma foi plutôt sympathiques tant qu'ils ne quittent pas les sentiers battus... Nous empruntons une petite partie de cette autoroute pour vite bifurquer à droite, pleine pente, en direction de l'Aiguille de l'M. Plus que deux ou trois cent mètres avant de chercher un endroit de bivouac. C'est pas difficile: il n'y en a qu'un sur cette arête, plateforme de trois mètres sur deux à peine abritée en cas de pluie… Il faut dire que le temps n'est pas très encourageant, avec de gros nuages noirs en fond de vallée. Demain, nous nous orienterons plutôt vers une traversée Charmoz-Grépon, ce sera déjà une belle course et après il sera bien temps d'aviser en fonction du temps.

20 heures: Ah ! La vache, le Moy est déjà en train de ronfler comme un sonneur et moi je guette les nuages. Comme d'hab. Question d'entraînement. Lui cool, décontracté de partout, en train de rêver à des papamobiles tournoyant autour de l'aiguille du Midi, et moi lorgnant du coin de l'œil la moindre goutte de pluie, prête à lui hurler dans les oreilles qu'il faut remballer les gaules et aller se plier en six sous le rocher aperçu tout à l'heure en contrebas, endroit que même une marmotte sur le point de mettre bas une portée de douze marmottons dénigrerait la tête haute...
Minuit: tiens? J'ai donc dormi? C'est le Moy qui s'agite à côté et qui consulte sa montre, prêt à actionner le réchaud... Pourvu que ce ne soit pas l'heure, parce qu'alors là je commande une cure de sommeil sur 6 mois d'affilée...
2 heures: re-le Moy qui re-consulte son altimètre fétiche. Pas encore l'heure! Rââââ Moy, que d'émotions et quelle aventure: Ah ! Si j'avais un objet un peu lourd histoire de l'assommer léééégèèèèèrement... C'est qu'il est motivé l'animal!

03h45: cette fois je sens que c'est la bonne, pas de rémission possible. J’émerge en rêvant des nuits de sommeils futures. Il fait beau. C'est cool. Pour moi, toujours dur entre le lever du lit et le lever du soleil. Après, c'est fonction de la balade... Nous partons enfin, casqués, bottés, équipés comme des chefs ou presque ! Chaussage de crampons à peine plus haut (une glissade est si vite arrivée). C'est le glacier des Nantillons. Après passage sous les séracs du glacier, en rive gauche, il faut accoster sur le rognon pour éviter la zone tourmentée. L'abordage ne se fait pas sans mal, il y a bien une corde fixe, mais elle ne me sert pas à grand chose. Enfin, après avoir tiré quelques longueurs nous serpentons dans les rochers à corde tendue, croisons deux gars qui ont dormi là et redescendent maintenant (!) puis retrouvons le glacier plus haut. Le lever du soleil sera timide et rougeoyant...mauvais çà. Le mauvais temps sera vite là aujourd'hui. Je nous imagine mal ce soir sur les arêtes ! Revenons à nos moutons: il reste une partie de glacier à traverser puis viendra la longue fissure qui nous élèvera au sommet prestigieux des Grands Charmoz !

STOP! Flo, tu t'emballes. Il est vrai que c'est une course mythique, peut être délaissée de nos jours car le niveau d'escalade ne dépasse pas le quatre, ou le quatre sup, peu m'importe, c'est une belle journée qui commence, il fait jour et le spectacle est comme toujours grandiose. En face, le couloir Spencer, un peu ripoux à mon goût, et le début des aiguilles. A gauche, le col des Nantillons. Et à ma droite, le Moy toujours fringant ! Nous sommes arrivés au pied des rochers. Au début, assez pourris et sans grand intérêt. Nous arrivons dans une zone de vires. Le Moy, laconique, me sort un « on ne va pas bien vite! » sur lequel j'acquiesce, un peu vexée mais consciente de ma lenteur. Je me sens empêtrée dans mes koflachs avec ce gros sac. Plus haut, dans une première fissure, je vois juste son sac qui dépasse et le reste qui frotte, comme un gros lézard qui avancerait en se coinçant...çà n'a pas l'air facile! Bientôt, je ne le vois plus, puis j'entends des jurons et le bruit d'un gros frottement. Bientôt, je vais comprendre... La première fissure bien encaissée est assez pénible surtout  avec notre attirail. Mon sac se coince de partout et je n'ose pas trop m'éloigner de l'intérieur de la fissure, je m'en sors donc non sans peine, en geignant (le Moy ne me voit pas  heureusement...). Par contre, juste après suit une fissure d'un tout autre acabit : une grande dalle lisse à gauche, un mur à droite, et un trou au milieu...toute une technique. Bien sûr, je glisse plusieurs fois dans le trou, les koflachs n'adhèrent pas terrible et je commence à suer de grosses gouttes. Enfin, en coinçant mon pied dans la fissure, j'arrive à m'extirper et rejoins péniblement le Moy. Un peu plus haut, c'est un court passage en traversée sur une dalle qui, on s'en doute, se  passerait facilement avec des chaussons, voire même avec de bonnes grosse chaussures en cuir, mais en coques plastiques, c'est pas le pied...bref. Nous continuons notre ascension en cherchant la cheminée Burgener. Elle est un peu plus haut à droite. Top c'est parti. Le moy me crie: « ouais c'est plus facile, tu verras, il y a une superbe boîte aux lettres !!! ». Ah! Oui, la boîte aux lettres. Je l'avais oubliée celle là. Avec le sac, çà va pas être commode... Si, apparemment, çà passe bien. Ouf! Je m'engage dans la soi-disant fissure plus facile et j'en bave. Heureusement qu'il y a une sangle providentielle au milieu, je me tracte dessus à la force des bras... Dans la cheminée, de la glace. C'est très joli, soit dit en passant ! Plus haut, la fameuse boîte aux lettres : rigolo. Le Moy repart. On ne devrait pas tarder d'arriver à la non moins fameuse brêche 3421, par des cheminées « commodes », dixit le topo. Le Moy n'a pas l'air d'accord. Il s'est coincé le pied dans une fissure. « Oarkk! » je l'entends crier un bon coup. « Ca va ?? »  « Ouais ouais! grumph! ». Il est à la brèche et je le rejoins un peu plus tard. Voilà le soleil et la face nord des Grands Charmoz à nos pieds. Impressionnant et sauvage le coin quand même. On n'est pas en avance. Je m'installe sur la dalle, regarde le paysage qui s'ouvre devant moi : Mer de Glace et tout ce qui suit, et tout en bas, les micros lacets du sentier qui monte au refuge de l'Envers des Aiguilles... Et pas mal de nuages accrochés un peu partout. Ce sera déjà bien si on fait la traversée des Grands Charmoz !!! Mais on n'a pas fini, il faut encore traverser l'arête. Cà démarre à droite sur une dalle versant Nantillons, en IV. Le Moy est sur des œufs. Je le surveille du coin de l'oeil en imaginant la chute éventuelle. Après avoir passé la dalle il me dit « Hé! Fais gaffe! », puis disparaît derrière le rocher, me laissant seule dans ma torpeur. Cà pue moi je vous le dis. Peu après, la corde défile...

J'ai un sursaut brutal en découvrant le vide en face de moi : je viens de m'endormir ¼ de secondes,
assez pour me déconnecter complètement de ce qui est en train de se passer. Du coup j'ouvre les yeux
en grand et me force à rester vigilante: c'est que je n'ai pas assez dormi moi. Ah ! C'est à moi. Cà y est,
j'ai les fesses dans le vide, si ma maman me voyait... Les chaussures assurent sur de toutes petites prises (cela est relatif bien sûr, les prises paraissent minuscules sous l'avant de mes « grosses » koflach...): c'est beau l'équilibre.

Je contourne le rocher et aperçoit un passage peu réjouissant: une brèche très très large qu'il faut enjamber (le grand pas délicat du topo). Dur dur. « Moy, fais gaffe... ». Je me lance et çà passe. Ouh là là, j'espère qu'il n'y en a pas à tous les coins de rochers des passages comme çà parce que mon taux d'adrénaline va filer dans le rouge. Hélas, si...Le passage suivant est du même ordre. Le Moy va d'ailleurs y laisser une sangle. Encore une traversée « exposée », enfin c'est de cette façon que je la conçois! Déjà se laisser glisser versant nord dans une fissure, puis 2 mètres à faire en traversant, c'est à dire sans grand chose pour les pieds et deux trois trucs pour les mains. « Il faut qu'on s'arrête un moment et que je mange quelque chose... » Dis-je au Moy, amorphe. Comprenant l'urgence de la situation, il sort le réchaud et le thé, pendant que je m'allonge, l'œil mi-clos. Toutes mes forces m'ont quitté définitivement !

C'est bien la première fois que le Moy prend le temps de faire un thé dans une course. Ferait-il des progrès? Sans doute a-t-il compris qu'avec un compagnon H.S., on risque fort de finir dans les entrailles de l'hélico du PGHM.... Dans le meilleur des cas ! Il repart ¼ d'heure plus tard. Encore une petite fissure d'où il faut s'extirper, puis un peu de désescalade avant de traverser et de rejoindre le Moy. J'en passe et des meilleures. La chute est toujours bien présente dans mon esprit et je prends un temps infini pour chacun de mes gestes. Je m'affale vers le Moy qui repart pour la suite. Une traversée... sérieusement délicate... 
- Moy : Je ne sais pas pourquoi mais je n'ai plus du tout confiance en mes koflachs aujourd'hui !
Ah ! oui ??? Le Moy fait demi-tour.
- Putain, ça commence à me faire chier ! J'enlève mon sac et tu m'assures ok ?
- Ok Moy, pas de problèmes.

J'ai les nerfs en pelote mais je lui fais grande confiance. Je l'observe avancer à 1 mètre à l'heure, et enfin il arrive de l'autre côté. « Flo! On va faire une main courante, attache la corde de ton côté, je viens chercher mon sac... » J'attache la corde, le plus tendue possible. Aller-retour du Moy. « Ok, c'est à toi Flo ». Bon ben quand faut y aller... Mon sac me tire en arrière, je pose mes pieds tout doucement sur ce qui me paraît être d'infâmes grattons sous les grosses semelles des koflachs. Le Moy n'est pas loin, 1 mètre tout au plus. Il me tend la main et me hisse vers lui, yeepee, c'est gagné ! Une tape dans le dos « putain de journée n'est ce pas? » On sourit: c'est pas grave, on s'amuse bien et on vit des trucs forts hein Moy? Plus que le fameux bâton Wicks avant de tirer les rappels car oui, reconnaissons le nous ne finirons même pas la traversée, mais qu'importe. Le bâton Wicks: une grosse dalle plate. Un rappel existe. Arvi. Le Moy disparaît vers le bas. Cà va plus vite qu'à la montée ! Un peu plus bas nous arrivons aux vires, qu'il faut désescalader. Puis enfin, la rimaye. Le temps s'est gâté: quelques flocons et la pluie, mais rien de bien méchant. J'aperçois tout en haut des gens sur l'arête. Le Moy veut faire un grand saut des rochers à la neige. Vas-y je t 'assure, tout en songeant qu'il faudra que j'y aille après...non finalement, il revient sur ses pas...Je le fais descendre puis tirer un rappel. Enfin la neige. La descente se fait sans problèmes, mises à part mes nombreuses chutes qui font dire au Moy: « Ben dis donc t'es vraiment fatiguée ! » « Évidemment, c'est pas du chiqué ». Il ne reste plus qu'à rejoindre la moraine en passant sous les chutes de pierre qui dévalent tout droit de l'aiguille de Blaitière. Je ne traîne pas, me rappelant les énormes fracas qu'on percevait depuis le bivouac. Tout à coup un petit passage de glace me fait stopper net. Peur de glisser, plus confiance en moi...fatigue...  « Flo!!! Magne-toi! ». Le Moy me brutalise tout à coup, et moi je n'arrive pas à avancer, tétanisée, engluée par le poids de mon sac et de la fatigue nerveuse... Je sens une tension latente. « Mais arrête de me pousser! » « Flo! Cours!!! Vite! ».
Un énorme bloc vient de se décrocher là-haut: il n'y a plus de glace, plus de neige, plus de fatigue, seulement mes deux jambes qui volent, courent et me font traverser ce ridicule passage, atterrir dans la neige molle et ne plus penser qu'à la survie. Quand on dit que la montagne c'est un coup de bol parfois... Je regarde derrière, après avoir couru une trentaine de mètres. Ca dévale sec. J'arrive vers le Moy, le cœur à 200 pulsations minute. Ce n'est pas notre heure, mais on l'a échappé belle.
- J'ai bien fait de te bousculer un peu non ?
- Oui Moy.

Paisiblement, nous quittons notre attirail. Je trouve un restant de tabac que nous fumons avec délice, avant d'amorcer la longue descente.
Plus tard:
- Moy: On compte vingt virages et on s'arrête pour faire un petit bilan de notre état.
- Moi, naïve : Ok, ça marche.
- Moy, volubile: Tu sais, j'ai appris plein de chose, sur l'alimentation diététique, et tout et tout !!
Et voilà, vingt virages et de nombreux bavardages plus tard, nous sommes en bas. Encore merci la montagne de nous faire vivre ces bons moments!